Le Grand Meaulnes by Alain-Fournier

Le Grand Meaulnes by Alain-Fournier

Auteur:Alain-Fournier [Alain-Fournier]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2009-12-09T05:00:00+00:00


CHAPITRE X – LA LESSIVE

Nous avions escompté trop tôt la venue du printemps.

Le lundi soir, nous voulûmes faire nos devoirs aussitôt après quatre heures comme en plein été, et pour y voir plus clair nous sortîmes deux grandes tables dans la cour. Mais le temps s’assombrit tout de suite ; une goutte de pluie tomba sur un cahier ; nous rentrâmes en hâte. Et de la grande salle obscurcie, par les larges fenêtres, nous regardions silencieusement dans le ciel gris la déroute des nuages.

Alors Meaulnes, qui regardait comme nous, la main sur une poignée de croisée, ne put s’empêcher de dire, comme s’il eût été fâché de sentir monter en lui tant de regret :

– Ah ! ils filaient autrement que cela les nuages, lorsque j’étais sur la route, dans la voiture de La Belle-Étoile.

– Sur quelle route ? » demanda Jasmin.

Mais Meaulnes ne répondit pas.

– Moi, dis-je, pour faire diversion, j’aurais aimé voyager comme cela en voiture, par la pluie battante, abrité sous un grand parapluie.

– Et lire tout le long du chemin comme dans une maison, ajouta un autre.

– Il ne pleuvait pas et je n’avais pas envie de lire, répondit Meaulnes, je ne pensais qu’à regarder le pays.

Mais lorsque Giraudat, à son tour, demanda de quel pays il s’agissait, Meaulnes de nouveau resta muet. Et Jasmin dit :

– Je sais… Toujours la fameuse aventure !…

Il avait dit ces mots d’un ton conciliant et important, comme s’il eût été lui-même un peu dans le secret. Ce fut peine perdue ; ses avances lui restèrent pour compte ; et comme la nuit tombait chacun s’en fut au galop, la blouse relevée sur la tête, sous la froide averse.

Jusqu’au jeudi suivant le temps resta à la pluie. Et ce jeudi-là fut plus triste encore que le précédent. Toute la campagne était baignée dans une sorte de brume glacée comme aux plus mauvais jours de l’hiver.

Millie, trompée par le beau soleil de l’autre semaine, avait fait faire la lessive, mais il ne fallait pas songer à mettre sécher le linge sur les haies du jardin, ni même sur des cordes dans le grenier, tant l’air était humide et froid.

En discutant avec M. Seurel, il lui vint l’idée d’étendre sa lessive dans les classes, puisque c’était jeudi, et de chauffer le poêle à blanc. Pour économiser les feux de la cuisine et de la salle à manger, on ferait cuire les repas sur le poêle et nous nous tiendrions toute la journée dans la grande salle du Cours.

Au premier instant, – j’étais si jeune encore ! – je considérai cette nouveauté comme une fête.

Morne fête !… Toute la chaleur du poêle était prise par la lessive et il faisait grand froid. Dans la cour, tombait interminablement et mollement une petite pluie d’hiver. C’est là pourtant que dès neuf heures du matin, dévoré d’ennui, je retrouvai le grand Meaulnes. Par les barreaux du grand portail, où nous appuyions silencieusement nos têtes, nous regardâmes, au haut du bourg, sur les Quatre-Routes, le cortège d’un enterrement venu du fond de la campagne.



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